Impliqué dans la seconde guerre des Boers, la Première Guerre mondiale et la Seconde Guerre mondiale, le lieutenant-général Adrian Paul Ghislain Carton de Wiart a mérité le surnom de soldat invincible. Non seulement il a survécu à ces conflits extrêmement violents, mais il a souffert de blessures qui auraient dû être fatales. Au cours de sa carrière militaire, il a reçu une balle dans l’estomac, la cheville, la hanche, le visage, la tête, l’oreille et s’est même amputé lui-même ses propres doigts. De plus, il a survécu à de multiples accidents d’avion et a réussi à sortir d’un camp de prisonniers de guerre par un tunnel. En gravissant les échelons en tant que soldat, il est devenu une légende. C’est l’histoire du soldat invincible, un homme qui a la guerre dans le sang.
Issu de l’aristocratie
Adrian Carton de Wiart est né à Bruxelles dans une famille aristocratique et était le fils aîné de Léon Carton de Wiart. Cependant, la rumeur courait qu’il était le fils illégitime de Léopold II, le roi de Belgique. Ayant passé la majeure partie de son enfance à Bruxelles et en Angleterre, son père a déménagé sa famille au Caire après la mort de sa mère, où il a appris à parler arabe. Alors qu’il fréquentait l’Université d’Oxford, il s’enrôla dans l’armée britannique en 1899 pendant la Seconde Guerre des Boers. Il s’est enrôlé sous le nom de « Trooper Carton », affirmant qu’il avait 25 ans alors qu’il avait à peine 20 ans.
Premier avant-goût de la bataille
Alors qu’il servait pendant la Seconde Guerre des Boers, Carton de Wiart a reçu une balle dans l’estomac et une dans l’aine, ce qui l’a contraint à retourner en Angleterre pour convalescence. Bien que son père était en colère parce qu’il avait abandonné ses études, il a permis à Carton de Wiart de rester dans l’armée. Après un autre bref passage à Oxford, il est retourné en Afrique du Sud où il a commencé à gravir les échelons. En 1901, il était devenu sous-lieutenant dans la Royal Dragoon Guards, lieutenant en 1904 et capitaine en 1910. Pendant ce temps, il est également devenu citoyen britannique, s’est marié et a eu deux filles.
Le début de la Première Guerre mondiale
Lorsque la Première Guerre mondiale a éclaté en 1914, Carton de Wiart se rendait déjà en Somalie britannique (qui fait aujourd’hui partie de la Somalie) pour participer à un combat contre les disciples de Mohammed Abdullah Hassan. Lors d’une attaque réussie contre un fort tenu par Abdullah, connu sous le nom de « Mad Mullah », Adrian Carton de Wiart n’a pas eu de chance. Il a reçu deux balles dans le visage, ce qui lui a fait perdre un œil et une partie de l’oreille. Pour ses services méritoires, il a reçu l’Ordre du Service distingué en 1915.
Une soif de combat
Même s’il avait perdu un œil, Carton de Wiart ne semblait pas affecté par sa blessure. Bien au contraire, il était surtout contrarié que cela l’empêche de participer à la guerre. Selon le général Hasting Lionel, « je crois sincèrement qu’il considérait la perte d’un œil comme une bénédiction car elle lui a permis de quitter le Somaliland pour l’Europe où il pensait que la vraie action se déroulait. » Son œil de verre le gêné, il l’aurait alors jeté d’un taxi, pour ensuite opter pour un cache-œil. Le cache-œil allait bientôt devenir l’une des caractéristiques les plus identifiables de sa personnalité.
Retour en première ligne
En février 1915, Carton de Wiart se trouve sur le front occidental en France où il commande trois bataillons d’infanterie et une brigade. Pendant qu’il était dans les tranchées, il a été blessé sept autres fois, dont une balle qui aurait dû lui être fatale à l’arrière de la tête. Il a également été blessé à la cheville, à la hanche, à l’oreille et à la jambe. À un moment donné, sa main gauche a été touchée par un obus d’artillerie allemand. Quand le médecin a insisté sur le fait que ses doigts n’avaient pas besoin d’être amputés, il les a retirés lui-même avec ses dents. Toute sa main a finalement été amputée. C’est à ce moment-là qu’il a mis un certain temps à reprendre le dessus.
Bravoure à la bataille de la Somme
Évidemment, Carton de Wiart n’a pas tardé à repartir au cœur de la guerre. Il a donc combattu en 1916 dans l’horrible bataille de la Somme, où des soldats ont rapporté avoir vu un Carton de Wiart à une main se précipiter vers l’ennemi avec des grenades, tirant les goupilles avec ses dents. Lors d’un assaut sur le village de La Boiselle pendant la bataille, il s’est encore illustré. Après que trois commandants d’unité du 8e Bataillon du Gloucestershire Regiment eurent été tués, Carton de Wiart prit alors le contrôle des trois unités. Il les a ensuite guidés tout au long de la bataille, réussissant à maîtriser l’ennemi.
Distingué pour ses services
En 1916, Carton de Wiart reçoit la Croix de Victoria, la plus haute distinction pour acte de bravoure au combat qui peut être décernée à un soldat de l’Empire britannique. À l’époque, il avait 36 ans et était lieutenant-colonel temporaire dans le 4th Dragoon Guards, de l’armée britannique, rattaché au Gloucestershire Regiment, commandant le 8e Bataillon. Dans son autobiographie, Happy Odyssey, il ne mentionne jamais avoir reçu la Croix de Victoria, mais plutôt : « Franchement, j’ai aimé la guerre ; elle m’a donné beaucoup de mauvais moments, beaucoup de bons, mais aussi beaucoup d’enthousiasme ».
En route pour la Pologne
À la fin de la guerre, Carton de Wiart est envoyé en Pologne en 1919 comme commandant en second de la mission militaire anglo-polonaise. À l’époque, les Polonais avaient désespérément besoin d’aide. Ils étaient à ce moment-là engagés avec la Russie bolchévique dans la guerre polono-soviétique, les Ukrainiens dans la guerre polono-ukrainienne, les Tchèques dans la guerre tchéco-polonaise et les Lituaniens dans la guerre Pologne-Lituanienne. Carton de Wiart était de nouveau en première ligne. Cette période de combats dans sa vie a occasionné un accident d’avion, une brève période de captivité en Lituanie et une escarmouche en solitaire contre la cavalerie rouge. En 1923, il a pris sa retraite de l’armée en tant que général de division.
Un repos bien mérité
Après avoir pris sa retraite de l’armée, il est devenu un ami proche du prince Karol Mikołaj Radziwiłł de Pologne, qui a hérité d’un domaine de 500 000 acres dans l’est de la Pologne après que son oncle ait été tué par des communistes. Le prince donna à Carton de Wiart l’usage d’un grand domaine connu sous le nom de Prostyń, une zone humide aussi grande que l’Irlande. Là, il a transformé sa maison sur une île près de la frontière soviétique en un pavillon de chasse où il a passé 15 de ses années d’entre-deux-guerres à chasser la sauvagine. Dans ses mémoires, il se souvient : « Je pense que j’ai chassé tous les jours de ces 15 années que j’ai passées dans les marais et le plaisir ne s’est jamais estompé ».
Début de la Seconde Guerre mondiale
Mais en 1939, les Allemands envahissent la Pologne et Carton de Wiart est contraint de quitter sa chère maison. Au début, il a essayé d’aider les dirigeants polonais, mais les choses sont allées très vite trop loin pour qu’il puisse être utile. Alors qu’il s’échappait de Varsovie, le convoi de Carton de Wiart a été la cible de tirs de mitrailleuses de la Luftwaffe, tuant la femme d’un de ses assistants. Bien sûr, cela ne l’a pas arrêté, et il a réussi à se rendre en Roumanie avec un faux passeport. Bien que les Allemands aient pris tout ce qu’il possédait, il note qu’ils ne pouvaient pas prendre ses souvenirs.
L’accident en Norvège
En 1939, de retour en Angleterre, il s’enrôle de nouveau comme colonel dans l’armée britannique, mais il est rapidement promu général de division. Après avoir commandé quelque temps la 61e Division d’infanterie, Carton de Wiart reçut l’ordre, en avril 1940, de prendre une force franco-anglaise pour occuper Namsos, une petite ville en Norvège. Une fois sur place, on lui a ordonné de prendre la ville de Trondheim, à 200 kilomètres au sud de la ville. Atteignant Namsos avant ses troupes, il fut attaqué par un soldat allemand. Les troupes britanniques et françaises ont également éprouvé des difficultés à entrer dans la ville qui a ensuite été bombardée et détruite par la Luftwaffe. Les Britanniques ont finalement été forcés d’évacuer la Norvège.
Un atterrissage en catastrophe
Le 5 avril 1941, Adrian Carton de Wiart est nommé chef de la mission militaire britanno-yougoslave. Hitler se préparait à envahir le pays, alors la Yougoslavie a demandé l’aide de la Grande-Bretagne. Ainsi, Carton de Wiart a arraisonné un bombardier Wellington à Belgrade, en Syrie, pour négocier avec le gouvernement yougoslave. Cependant, les deux moteurs de l’avion sont tombés en panne au-dessus de la Lybie sous contrôle italien, ce qui les a fait s’écraser à plus d’1,5 kilomètre au large de la mer Méditerranée. D’abord inconscient, à son réveil, Carton de Wiart et ses camarades ont nagé jusqu’au rivage, avant d’être capturés par les Italiens.
Un prisonnier de guerre
En raison de son rang militaire, Carton de Wiart était un prisonnier de premier plan. Et après quatre mois, il a été transféré dans un camp de prisonniers de guerre pour officiers supérieurs à Castello di Vincigliata. Il y avait de nombreux autres officiers et Carton de Wiart se lia d’amitié avec Sir Richard O’Connor, Daniel Knox, 6e comte de Ranfurly, et le lieutenant-général Philip Neame VC. Dans des lettres à sa femme, Ranfurly décrit Carton de Wiart comme « un personnage charmant » et qu’il « se divertit beaucoup avec lui ». Il a également mentionné qu’il doit » détenir le record de grossièretés « .
Tentatives d’évasion
Bien sûr, Carton de Wiart n’allait pas passer la guerre à moisir dans un camp de prisonniers de guerre. Lui et ses trois amis étaient déterminés à sortir et ont fait cinq tentatives d’évasion pendant leur incarcération. À un moment donné, le groupe a passé sept mois à creuser un tunnel de 18 mètres dans la roche, permettant à six d’entre eux de s’échapper en mars 1943. A 61 ans, Carton de Wiart a été en cavale pendant huit jours déguisé en paysan italien. Cependant, son cache-œil, son unique main et ses nombreuses cicatrices de guerre ont fini par le trahir. La même année, il a été libéré en signe de paix pour les Britanniques.
Une mission de Churchill lui-même
Un mois seulement après son retour en Angleterre, Carton de Wiart est invité à séjourner dans la maison de campagne du premier ministre Winston Churchill. C’est là que Churchill l’a informé qu’on avait besoin de lui pour une question diplomatique et qu’il se rendrait en Chine en tant que représentant personnel. Arrivé au siège du gouvernement nationaliste chinois en décembre 1943, il passa les trois années suivantes à s’occuper de communications et de tâches diplomatiques et administratives. Il a travaillé en étroite collaboration avec Chiang Kai-shek et s’est même vu offrir un emploi par celui-ci après sa retraite.
Autres distinctions
Le 9 octobre 1944, Carton de Wiart est promu lieutenant-général temporaire et au grade de major-général. Il retourna ensuite en Angleterre en décembre 1944 où il devait faire un rapport au Cabinet de guerre sur ce qui se passait en Chine. Il a ensuite été nommé Chevalier Commandeur de l’Ordre de l’Empire britannique lors de la cérémonie du Nouvel An 1945. Peu de temps après, il a été affecté au front de Birmanie, où il était aux premières loges pour le bombardement de Saband dans les Indes orientales néerlandaises.
Il a assisté à la capitulation officielle du Japon
Après la reddition des Japonais en août 1945, Carton de Wiart s’envola pour Singapour afin de participer à la cérémonie officielle de reddition. Après un séjour à Pékin, il s’installe à Nankin, capitale nationaliste désormais libérée et ancien site du massacre de Nanjing en 1937. Il était également accompagné de Julian Amery, représentant personnel du Premier ministre britannique à Chiang. Il s’est ensuite rendu à Tokyo pour rencontrer le général Douglas MacArthur et a décidé qu’il était temps de prendre sa retraite à l’âge de 66 ans. Carton de Wiart se retira donc en octobre 1947 avec le titre honorifique de lieutenant-général.
Une dernière blessure pour la route
Après avoir pris sa retraite, Carton de Wiart rentre chez lui et fait escale à Rangoun (aujourd’hui Myanmar), en tant qu’invité du commandant de l’armée. En descendant un escalier, il a glissé sur un tapis de noix de coco et est tombé. Il a écrit : « Je me suis cogné la tête contre le mur en m’assommant presque inconsciemment, je me suis cassé le dos, j’ai une vertèbre brisée et j’ai eu beaucoup de chance de ne pas me rompre le cou ». Bien sûr, il est retourné en Angleterre et s’est totalement remis. Les médecins qui ont soigné son dos auraient également enlevé plusieurs gros éclats d’obus des blessures précédentes.
Se poser, enfin
Malheureusement, sa femme est décédée en 1949, peu de temps après son retour à la maison. Deux ans plus tard, il épouse Ruth Myrtle Muriel Joan McKechnie, mieux connue sous le nom de Joan Southerland. Elle avait 23 ans de moins que Carton de Wiart et est morte à l’âge de 102 ans en 2006. Le couple s’est installé dans l’emblématique Aghinagh House à Killinardish, dans le Comté de Cork, en Irlande. Là, il a passé sa retraite à profiter de la campagne, retournant à ses passe-temps favoris, à savoir la chasse et la pêche.
La fin d’une longue vie
Adrian Carton de Wiart est décédé paisiblement le 5 juin 1963, à l’âge de 83 ans, dans le Comté de Cork en Irlande. Il est enterré à Caum Churchyard, près de la route principale Macroom. Sa veuve, qui était sa seconde épouse, Joan, est décédée en 2006 et repose près de lui. Sa tombe se trouve à l’extérieur du cimetière, sur le terrain de sa maison à Aghinagh House. Il mourut avec le titre très approprié de soldat britannique invincible.